L'industrie nucléaire doit changer - ou disparaître

17 février 2017

"Position de sécurité"

"Position de sécurité"

L'insolvabilité annoncée de Toshiba a déclenché des d'événements en chaîne qui menacent l'existence même de la filière nucléaire occidentale.

·      Le projet anglais de construction de six nouvelles centrales nucléaires - reposant sur quatre types différents de réacteurs - afin de sortir du charbon dès 2025 est maintenant en suspens.

·      Le bouleversement britannique induit de l'incertitude pour les industries nucléaires française et chinoise -  ainsi que pour une autre entreprise japonaise, Hitachi - qui avaient obtenu des contrats pour la construction d'autres centrales britanniques.

·      En réaction aux difficultés de Toshiba, un des experts principaux en politique nucléaire de l'Inde appelle le gouvernement à renoncer à ses projets existants avec Areva, Westinghouse et le Rosatom de la Russie et à "Restaurer la filière nucléaire indienne" en renforçant le concept proprement indien.

·      Mercredi, le président de Mistubishi a dit au Financial Times que l'entreprise n'envisage pas une fusion avec Toshiba. Pourquoi ? Le concept de réacteur de Toshiba repose sur "une technologie complètement différente" de celle de Mitsubishi.

·      Le projet de Southern Company de construire en Géorgie (USA) une troisième centrale nucléaire basée sur le concept Westinghouse AP1000 de Toshiba a de moins en moins de chances d'aboutir.

Les gouvernements japonais et français seront contraints à l'action pour des raisons économiques - leurs filières nucléaires sont trop importantes économiquement pour les abandonner à la faillite. Le gouvernement japonais a toujours joué un rôle important dans la direction que prenait l'industrie du pays, y compris sa composante nucléaire, alors que la filière nucléaire française est entièrementcontrôlée par le gouvernement.

Bien qu'elle ne possède pas de filière nucléaire propre la Grande Bretagne émerge comme la plus forte des trois nations du fait qu'un nombre appréciable de centrales y sont planifiées, qui impliquent des entreprises japonaises et françaises ; elle est un joueur important dans un marché d'acheteurs.

Le nouveau gouvernement conservateur de Theresa May a exprimé plus d'intérêt pour la politique industrielle que les gouvernements conservateurs antérieurs. Il a déjà commencé des discussions avec le gouvernement japonais en vue d'une éventuelle participation du gouvernement du Royaume-Uni, comme investisseur dans deux des centrales qu'il prévoit de faire construire.

La question est de savoir s'il y aura dans l'un de ces trois gouvernements quelqu'un avec l'inspiration et la force nécessaires pour faire les bons choix. Ceux-ci seront les plus difficiles car ils supposeront une confrontation d'abord avec la filière nucléaire, ensuite avec les idéologues de Gauche et de Droite.

Mais les crises sont sources de possibilités et il y en a de grandes pour les réformateurs tant dans l'industrie que dans les gouvernements pour faire enfin ce qui aurait dû être fait il y a 40 ans : standardiser les modèles, réorganiser et consolider la filière, mettre en œuvre une stratégie pour redimensionner les centrales tout en en diminuant les coûts.

Mais avant de faire tout cela, les décideurs et le public doivent comprendre pourquoi Toshiba et Areva ont échoué.

Pourquoi la filière nucléaire est en échec

1               Standardisation et gains d'échelle insuffisants

"Tout ce que vous avez décrit dans votre article était vrai des réacteurs nucléaires construits dans les années 1970" m'a dit un vétéran de la filière.

Dans mon enquête, j'ai décrit la radicale nouveauté du concept Westinghouse AP1000 de Toshiba - il n'avait jamais été testé, ni même sa conception entièrement terminée avant qu'on commence à le construire.

Pourtant, quand le moment fut venu d'en construire deux, en Géorgie et en Caroline du Sud, toutes les parties furent affectée d'une sorte d'amnésie historique.

"Aucune des personnes impliquées ne semblait bien comprendre combien il serait difficile de construire de nouveaux réacteurs, surtout le AP1000 - un concept pilote" rapporte le Financial Times.

Il n'est pas inhabituel que des grands projets de construction et de production dépassent leur budget et leurs délais de fabrication.

Voyez le San Francisco Bay Bridge. Après qu'un tremblement de terre en 1989 ait provoqué son effondrement partiel, les fonctionnaires californiens ont décidé le remplacement complet de sa portée occidentale.

Les travaux ont débuté en 2002 pour un coût estimé de $1,5 milliards. Le projet a subi des revers. En 2009, des tiges d'acier se sont échappées de la portée et ont heurté au moins deux voitures. Des boulons défectueux furent découverts. Ces problèmes ont retardé de quatre ans l'ouverture du pont et fait passer le coût à $6,4 milliards - quatre fois plus que le coût initialement estimé.

Ou voyez l'avion à réaction "Dreamliner" de Boeing. Le prototype fut livré avec trois ans de retard, en 2011. Immédiatement, tout alla de travers. Les moteurs lâchèrent ainsi que les pompes à carburant, les ordinateurs, les ailes. Les batteries Lithium prirent feu. La gravité des problèmes était telle que le gouvernement japonais entreprit sa propre enquête.

Maintenant, considérez que construire une centrale nucléaire n'est pas comme construire un pont ou un avion à réaction - c'est comme construire un pont et un avion à réaction en même temps.

Sauf que non. C'est beaucoup plus difficile que cela.

Cela a à voir avec l'échelle. Alors que Boeing fabrique 10 avion par mois - ce qui permet à toutes les entités impliquées d'améliorer leur efficacité et de produire des avions de plus en plus vite - il faut aux entreprises de construction de centrales nucléaires 10 années pour en construire une.

Boeing connaît l'importance de la standardisation. L'entreprise perd de l'argent sur chaque Dreamliner qu'elle produit et dit espérer en gagner après 1100 appareils vendus. Ainsi, face à une série de problèmes sévères en 2012, Boeing n'a pas renoncé au concept de Dreamliner - il a résolu les problèmes.

La réponse de la filière nucléaire devant de tels problèmes aurait été d'inventer encore un concept de réacteur de plus, avec toutes sortes d'engagements de plus grande sureté et de coût réduit. Et pourtant, ce qui rend les centrales nucléaires plus sûres et moins couteuses à la construction et à l'exploitation, c'est l'expérience acquise, non les concepts innovants.

Ce que réalise le changement constant de modèle, c'est priver les personnes qui construisent, exploitent et régulent les centrales nucléaires de l'expérience nécessaire pour devenir plus efficaces.

Pourquoi, alors, cette filière persiste-t-elle dans cette voie ?

2               La guerre au nucléaire

Jusqu'à un certain point, la recherche de concepts innovants comme idée fixe depuis 40 ans estune conséquence de la domination de cette filière par les ingénieurs - les architectes de projet - plutôt que par les entreprises de travaux.

Mais Boeing et Airbus sont des entreprises dominées par des ingénieurs qui ne font pas leserreurs de ceux de la filière nucléaire. Pourquoi ?

La réponse tient en partie à ce que Boeing n'est pas face à un lobby fort de $500 millions annuels qui fait tout son possible pour rendre le nucléaire couteux.

NRDC (Natural Resources Defense Council), Sierra Club, Greenpeace, UCS (Union of Concerned Scientists) et une pléthore de groupes locaux et d'états fédéraux ont passé 50 ans à faire peur aux populations avec de la pseudo-science, à faire des procès à des fournisseurs d'électricité, à soutenir leurs concurrents, à obtenir des réglementations qui n'ajoutent rien à la sûreté des centrales.

D'une part, la filière nucléaire a brillamment répondu à ces attaques. Après qu'un coup décisif ait été porté à la filière par le mouvement antinucléaire en 1979 avec la fusion du cœur à Three Mile Island, bordé par la sortie du film hystérique "China Syndrome" et des concerts "No-Nukes", la filière s'est organisée.

Au cours des 30 années suivantes, l'industrie s'est efforcée de mieux former ses travailleurs et d'introduire une culture de sûreté qui a eu pour conséquence une élévation de la disponibilité des centrales d'un niveau bas de 50 pour cent au niveau actuel de 90 pour cent.

Mais la filière a également répondu en créant des modèles nouveaux et non testés : l'AP1000 de Westinghouse et l'EPR d'Areva.

Le problème que pose le changement de série est aggravé du fait du petit nombre de centrales nucléaires en construction. Tout juste 60 centrales actuellement - et la plupart de modèles différents.

À l'opposé, les Coréens ont choisi d'améliorer l'efficacité de la construction plutôt que de développer des concepts innovants et ils sont maintenant leaders dans la compétition mondiale pour la construction de nouvelles centrales.

3               Trop d'attention aux machines, pas assez aux hommes

Areva, Toshiba-Westinghouse, d'autres, affirmaient que leurs nouveaux concepts seraient plus sûrs et, par conséquent, au moins à terme, moins chers mais il y avait toujours de bonne raisons de mettre ces affirmations en doute.

Premièrement, ce qui s'avère rendre les réacteurs nucléaires plus sûrs, c'est l'expérience, pas les nouvelles conceptions. Les facteurs humains engloutissent les apports des conceptions.

Il en est de même avec les avions. Ce qui a rendu sûr le transport aérien, ce sont des dizaines d'années de formation et d'expérience chez les pilotes, les contrôleurs aériens et les régulateurs - non des modèles radicalement nouveaux d'avions à réaction.

De fait, les nouveaux concepts risquent de priver les directeurs et les employés de l'expérience dont ils ont besoin pour exploiter les centrales avec une meilleure sûreté, de même qu'ils privent les entreprises de travaux de la pratique qui permettrait de construire ces centrales plus rapidement.

Alors que Boeing a vanté le Dreamliner comme une sorte de percée, il s'agissait d'une amélioration incrémentale du même avion à réaction qui vole depuis les années 1950, il n'a pas changé grand chose aux procédures des pilotes et des membres de l'équipage.

Certes, l'amélioration continue de la technologie des avions à réaction a contribué à rendreplus sûr que jamais le transport aérien.

Mais les facteurs déterminants ont été l'implication des dirigeants dans la réduction des risques, une culture de sûreté à l'échelle de l'entreprise, un meilleur entraînement aux situations d'urgence, des contrôles, ainsi que l'analyse des accidents.

Deuxièmement, comment fait-on pour rendre une technologie qui ne fait presque jamais de mal à quiconque plus sûre qu'elle ne l'est déjà ?

Les combustibles fossiles, en fonctionnement normal, tuent beaucoup plus que les centrales nucléaires en cas de dysfonctionnement.

Et, etant donné leurs impacts tellement minuscules sur la santé, il n'est tout simplement pas évident qu'il soit possible de rendre plus sûres les centrales. Avec des temps longs et des échantillons de petite taille, il sera probablement impossible de déterminer - scientifiquement - si les nouveaux types de réacteurs sont plus sûrs.

Les défenseurs des nouveaux concepts, y compris l'EPR et l'AP1000 reconnaissent ce fait, mais soulignent leur sûreté renforcée : la double enceinte de confinement de l'EPR ; le système de secours d'apport d'eau de l'AP1000 ou la composition de son caloporteur à l'épreuve d'une fusion du cœur.

Mais la Nuclear Regulatory Commission (autorité de sûreté nucléaire des États-Unis) a déjà édicté que toutes les nouvelles centrales nucléaires seront soumises à l'Aircraft Rule et devront par conséquent être équipées d'une enceinte de confinement.

Les enceintes de confinement ne coûtent pas aussi cher qu'on le dit parfois. Une étude Black and Veatch de 2012 estime que pour l'AP1000 l'ilot réacteur représentait seulement 13 pour-cent du coût total de la centrale. Et le coût réel de l'ilot réacteur serait proportionnellement plus faible étant donné le surcoût de $10 milliards des deux AP1000 des États-Unis.

La leçon principale à tirer de la débâcle de Toshiba et d'Areva est que les surcoûts dus aux retards de construction d'un prototype de centrale nucléaire auquel sont imposés des règlements stricts submergent toutes les économies envisageables sur d'autres équipements nécessaires mais qui sont en quantité modeste.

Finalement, la plus grande part des dommages provoqués par les accidents, et de loin, est due à la peur et à la panique, non à l'exposition aux radiations.

Ce qui a fait de Three Mile Island, Chernobyl et Fukushima les pires accidents nucléaires n'est pas la quantité de radioactivité qui y a été libérée. L'incendie qui s'est déclaré dans un réacteur refroidi au gaz à Windscale, Angleterre, en 1957 et la fusion partielle d'un réacteur refroidi au sodium près de Detroit (USA) en 1966 étaient l'un et l'autre des accidents bien pires que Three Mile Island.

Ce qui a rendu les accidents les plus connus dommageables est que les autorités locales et fédérales ont paniqué et déclenché des évacuations surdimensionnées et dangereuses. Ce qu'elles auraient dû faire aurait été de dire aux résidents de se mettre à l'abri sur place - comme on le fait pour les tornades - jusqu'à ce que l'accident soit géré.

Comparez cela avec la façon dont sont traités les accidents d'avion à réaction.

Les passagers du vol Sully prennent la "position de sécurité" - ils se mettent à l'abri sur place.

Les passagers du vol Sully prennent la "position de sécurité" - ils se mettent à l'abri sur place.

Dans un film récent, "Sully", basé sur un fait réel, un Airbus 320 perd en cinq minutes ses deux moteurs à la suite de rencontres aviaires. Privé de la moindre poussée, le pilote n'a que quelques secondes pour agir. Peut-il rejoindre l'aéroport La Guardia à New York ? Ou devrait-il tenter de se poser sur la rivière Hudson ?

Le capitaine Sully opte pour cette dernière solution. Laconiquement, il intime "position de sécurité". Les hotesses et stewards entonnent un chant effrayant et hypnotique “Brace! Brace! Heads down! Stay down! Brace! Brace!...” ("position de sécurité, têtes baissées, restez baissés, position de sécurité ...").

Les passagers obtempèrent. Ils ont peur, certains crient, mais ils restent assis. Ils rentrent la tête, quelques uns appuient leurs mains sur le siège devant eux. Autrement dit, ils se mettent à l'abri sur place.

Et tout le monde s'en sort.

Comment sauver le nucléaire

1               Fusionner ou disparaître

Deux entreprises seulement fabriquent des avions gros porteurs : Boeing et Airbus

Les gros projets complexes comme la fabrication d'un avion à réaction ou la construction d'une centrale nucléaire demandent un très gros investissement de départ que seules des entités importantes et bien capitalisées peuvent assurer - comme un fournisseur d'électricité ou Boeing, qui a investi $32 milliards pour faire le Dreamliner.

Pour survivre, la filière nucléaire occidentale a besoin d'une grande entreprise unique - un équivalent de Boeing ou Airbus - pour faire concurrence aux Coréens, aux Chinois, aux Russes.

Jamais il n'y aura autant de centrales nucléaires que d'avions à réaction, surtout dans une période de faible demande d'électricité. Il s'en suit que les économies d'échelle doivent être réalisées plus rapidement.

Une des clés est que la construction etl'exploitation soient rendues aussi efficaces que possible.

Bon nombre d'acteurs dans le nucléaire mondial font une offre qui comprend aussi bien la construction que l'exploitation des centrales. C'est ce qu'a réalisé la société coréenne KEPCO aux Émirats arabes unis (E.A.U.).

La centrale à quatre réacteurs nucléaires que KEPCO est en train de construire aux E.A.U. est dans les temps et le budget semble être respecté. En janvier, les E.A.U. ont signé avec KEPCO un contrat de $50 milliards sur 60 ans pour l'exploitation et l'entretien de ces réacteurs.

Quelqu'un du domaine m'a dit que KEPCO a traité la partie construction de l'affaire comme une amorce à perte pour obtenir la partie plus lucrative du contrat : l'exploitation, la maintenance, la recharge du combustible - et peut-être pour mettre en vitrine sa performance dans la construction, à destination des autres pays.

L'Airbus du nucléaire devrait être dirigé par quelqu'un ayant une bonne expérience dans la construction de centrales nucléaires - puisque c'est de là que peuvent venir les économies (et les surcoûts) - pas de l’ingénierie.

Dans une certaine mesure, la consolidation est déjà en cours. En 2006, Toshiba a acheté Westinghouse et Mitsubishi est entré en partenariat avec Areva, tandis qu'en 2007 Hitachi entrait en partenariat avec la division nucléaire de GE.

Récemment, Toshiba a acheté l'entreprise engagée pour le gros œuvre de la centrale AP1000 de Vogtle, mais avec ce rachat, la consolidation est venue trop tard. Elle a été réalisée en réaction à des retards de construction et de fabrication et non en les anticipant.

Bien entendu, la consolidation par elle-même ne suffit pas, comme l'a appris Areva. Il faut aussi de la standardisation, des gains d'échelle, et l'adhésion du public. Laconsolidation est essentielle à l'acquisition de la pratique qui conduit à la réduction des coûts. Et une augmentation planifiée du nucléaire est déterminante pour l'acquisition de cette pratique.

2               Standardiser ou disparaître

Premièrement, le nouveau Boeing ou Airbus du nucléaire devrait ne construire qu'un modèle. La fixation des standards est traditionnellement un rôle dévolu aux gouvernements et a été, dans le passé, d'un grand secours pour aider les entreprises industrielles à fusionner, croître et réaliser de constantes améliorations.

Le Royaume-Uni a là un rôle important à jouer. L'hétérogénéité des réacteurs qui y sont prévus est stupéfiante.

·      AP1000 x 3 pour Moorside

·      EPR x 2 pour Hinkley Point C, EPR x 2 pour Sizewell C

·      Hitachi ABWR x 2 pour Wylfa Newydd, ABWR x 2 pour Oldbury B

·      Hualong-1 x 2 pour Bradwell

Le Royaume-Uni devrait abandonner tous ces projets et reprendre à zéro sur une page vierge. Tous les nouveaux réacteurs du R-U devraient être du même type.

Deuxièmement, les critères pour le choix du modèle devraient mettre l'accent sur l'expérience acquise dans la construction et l'exploitation puisque c'est là le facteur clé de la réduction des coûts.

Le retraitement des déchets devrait être exclu. Il n'est pas nécessaire et augmente les coûts.

Quelle qu’attention devrait être accordée à la fabrication en série de modules, un aspect que les Coréens développent également.

Mais ce que soulignent les échecs à la fois de Toshiba et d'Areva, c'est que toutes les nouvelles centrales nucléaires, quel qu’en soit le nombre, devront être construites en conformité avec les standards exigeants de régulateurs stricts et c'est ce type de contrainte qui a contribué à la destruction de pas seulement une, mais de deux des plus grandes entreprises nucléaires mondiales.

Troisièmement, les centrales devraient être construites séquentiellement afin que les dirigeants et les employés de l'Airbus nucléaire apprennent par la pratique.

Quatrièmement, l'entreprise devrait être fortement incitée à réduire les coûts.

Cinquièmement, le programme devrait comporter une augmentation significative des crédits consacrés à  l'évaluation d'autres types de réacteurs.

L'histoire sur ce point est claire : les gouvernements n'investissent de façon importante dans la démonstration de nouveaux types de réacteurs que quand le pays construit de nouvelles centrales nucléaires. Et ce avec raison : la population croît alors en l'avenir du nucléaire.

L'inverse est vrai aussi. Bien avant d'avoir atteint leur objectif de faire arrêter les centrales existantes, les militants antinucléaires ont cherché activement à couper les crédits pour l'innovation nucléaire. Ils ont obtenu une grande victoire en 1982 quand le Congrès a coupé les crédits pour le projet de retraitement du combustible de Clinch River. Et ils eurent une autre victoire en 1993 quand le Congrès coupa les crédits du "integral fast reactor" (version américaine d'un réacteur rapide refroidi au sodium).

Les crédits du réacteur expérimental à sels fondus développé à Oak Ridge à la fin des années 1960 furent coupés avant même qu'il puisse être testé. La U.S. Atomic Energy Commission estimait le coût de sa construction à $10 milliards (en $ 2016) et remarquait que les essais antérieurs avaient habituellement coûté le double de ce qui avait été prévu.

Un développement global, massif et sur le long terme de centrales nucléaires est la condition sine qua non pour que les états acceptent d'investir les milliards nécessaires à l'évaluation de concepts radicalement différents de l'existant.

3               Réaliser des gains d'échelle ou disparaître

Derrière la crise à laquelle le nucléaire en général et Toshiba en particulier doit faire face il y a l'incertitude totale concernant les futures constructions de centrales nucléaires - y compris les constructions en cours.

Les pays doivent élaborer ensemble un planning de construction de nouvelles centrales nucléaires sur le long terme afin de réaliser des économies d'échelle. Un tel planning pourrait restaurer la confiance, permettrait l'apprentissage par la pratique, réduirait les coûts et les besoins de financement.

Les risques et les gains devraient être mis en commun. Les coûts évités grâce à l'expérience acquise devraient être partagés, de même que les dépassements de budget des quelques premières centrales.

Les gouvernements devraient investir directement ou fournir des prêts à taux réduit. Cceci sera inévitablement dénoncé par les groupes antinucléaires, alors que les États-Unis et l'Europe subventionnent l'éolien et le photovoltaïque depuis des dizaines d'années. En Illinois et en Californie, le soutien à l'éolien et au photovoltaïque est la clé de la menace de fermeture anticipée qui pèse sur les centrales nucléaires, sapant les objectifs pour la qualité de l'air etla sauvegarde du climat.

Un peu d'équité s'impose. Cela passe par l'investissement et le financement aussi bien que par un soutien aux centrales nucléaires menacées de fermeture prématurée du fait de notre système de subventions discriminatoires.

D'aucuns pourraient se demander pourquoi l'énergie nucléaire doit être soutenue alors que Boeing et Airbus se sont développés sans soutien gouvernemental. En fait ce n'est pas le cas : l'année dernière l'organisation mondiale du commerce affirmait que Boeing et Airbus ont reçu des milliards de subventions gouvernementales - jusqu’à une valeur de $22 milliards pour le seul Airbus.

Les leaders du Labor au Royaume-Uni ont déjà appelé le gouvernement à réaliser des investissements directs pour sauver les centrales.

"Le retard que nous constatons sous les Tories met des milliers de travailleurs du nucléaire dans l'incertitude concernant leur avenir", a dit le secrétaire du cabinet fantôme mercredi, "Un investissement   public dans l'énergie nucléaire représenterait un avantage considérable par le biais de la chaîne logistique nucléaire et la sécurité énergétique.

De plus, le financement est la clé de l'ouverture du marché mondial - ouverture qui est dans l'intérêt de l'ensemble de la filière.

Le Vietnam a récemment annulé ses projets de construction de centrales nucléaires et envisage de construire des centrales à charbon à la place. Quelqu'un de proche du dossier m'a dit que si des pays étrangers avaient financé les centrales nucléaires, les projets auraient été maintenuss.

Et le montant à financer - non de l'aide au développement - est trivial au regard des avantages potentiels pour les pays fournisseurs de centrales nucléaires, surtout quand le financement s'étale sur plus de 30 ans et est partagé entre le R-U, le Japon, la France, et les États-Unis.

Un tel financement donnerait un avantage déterminant à l'Airbus du nucléaire par rapport à ses concurrents, lui permettant d'emporter des contrats et de retrouver la confiance dont tous dans la filière ont besoin.

Pour qu'un tel effort marche, il lui faudrait un large soutien qui se maintienne pendant plusieurs dizaines d'années. Pour cela, il faudra que les gouvernements nationaux travaillent ensemble pour augmenter la demande du public et son adhésion au nucléaire. Toshiba et Areva montrent qu'une adhésion du public déclinante alimente la demande pour des règlementations inutiles et pousse l'industrie à de constants changements de conception.

L'industrie nucléaire japonaise ne peut pas survivre tant que l'opposition du public empêche le redémarrage des centrales nucléaires arrêtées.

Le gouvernement japonais et les dirigeants de la filière doivent surmonter leur honte et demander l'aide des alliés pour vaincre la radiophobie de la population en réaction à Fukushima.

Ce qu'il faut, c'est une action indépendante, sérieuse et soutenue de la part de professionnels de santé et de médecins pour aider les Japonais et les autres populations à vaincre des peurs fondées sur une grossière désinformation scientifique.

La France, le Canada et plus récemment le Vietnam montrent que c'est faisable.

En guise d'analogie, il y a beaucoup à apprendre des efforts consacrés à augmenter la confiance dans la vaccination chez les parents hésitants. Il y a une campagne agressive et intense d'éducation de la population sur les vaccins qui, en gros, marche encore. En réaction à une épidémie de rougeole récente, par exemple, la Californie a commencé à  imposer que les élèves soient vaccinés pour fréquenter les écoles publiques.

Si des millions de parents acceptent que le virus de la polio soit injecté à leurs enfants parce qu'ils comprennent que c'est une version affaiblie du virus qui, autrement, paralyse et tue, ils sont aussi capables de comprendre que les centrales nucléaires sont la façon la plus sûre et la plus propre de faire de l'électricité.

Le fait est que les êtres humains partout dans le monde sont victimes de désinformation sur l'électricité nucléaire depuis la fin des années 1960. La plupart des gens qui découvrent les vérités de base sur le nucléaire se mettent à le soutenir beaucoup plus.

Pourtant, ni les gouvernements, ni l'industrie n'ont jamais, durant les 50 ans d'existence de l'énergie nucléaire, tenté sérieusement de fournir ces données.

Ce que cela signifie, c'est qu'il y a un potentiel énorme pour toucher les cœurs et changer les opinions tout comme les nôtres l'ont été en découvrant en quoi le nucléaire est essentiel pour atténuer le changement climatique.

Maintenant, le changement

La crise qui menace de mort l'énergie nucléaire occidentale est également l'opportunité d'une nouvelle vie.

Quand on considère que l'industrie nucléaire a, pendant 40 ans, fait exactement le contraire de ce que l'on sait qui marche, c'est un petit miracle que le nucléaire représente encore 11 pour cent de la production électrique mondiale plutôt que zéro.

Tout ce qui ne va pas - la prolifération des modèles, le retard des projets au démarrage, des concurrents coréens efficaces, une faible demande, une faible adhésion du public - peut être redressé.

Nous pouvons apprendre des Coréens. Nous pouvons standardiser les modèles. Nous pouvons trouver les financements à l'échelle qui convient. Nous pouvons retourner au Vietnam avec une meilleure offre. Et nous pouvons augmenter l'adhésion du public.

Les décideurs ont un rôle particulier à jouer. Ils doivent découvrir des réformateurs et des instigateurs de changement à l'intérieur d'une filière dominée par le style de pensée qui a conduit à la crise actuelle. Ils doivent tendre la main à leurs équivalents dans d'autres pays. Et ils doivent se montrer fermes face aux idéologues de Gauche, qui colportent de la pseudo-science et de Droite, qui colportent de la pseudo-économie.

À terme, une nouvelle direction avec une vision et un projet nouveaux devra émerger au sein de la filière nucléaire. Toshiba a vu une succession de dirigeants qui promouvaient une approche fondamentalement semblable. Il n'est pas sûr qu'Areva ait tiré les leçons de sa débâcle avec l'EPR, ni que quelqu'un ait réellement entrepris d'y faire le ménage.

Mais, heureusement, Toshiba et Areva ne sont pas les seules entreprises capables d'exercer le leadership requis pour éviter que la technologie la plus importante au monde pour l'environnement soit vouée au rebut de l'histoire.

     Michael Shellenberger